Personne n’échappe au coup de règle. Depuis deux ans, le gratin de la finance mondiale se fait taper sur les doigts par les régulateurs américains pour avoir parlé business là où il ne devait pas. En septembre, Stifel Nicolaus & Co, Invesco ou encore la Banque canadienne impériale de commerce, accusés d’avoir laissé des échanges professionnels se dérouler sur des messageries telles que WhatsApp, ont accepté de verser 100 millions de dollars pour régler l’affaire.Un mois plus tôt, la Securities and Exchange Commission (SEC) avait déjà collé près de 400 millions de dollars d’amendes à 26 institutions bancaires et financières pour le même motif. Depuis que le “scandale WhatsApp” a éclaté, en 2022, tout le monde en a pris pour son grade – Wells Fargo, BNP Paribas, Morgan Stanley, la Société générale, Citigroup… – et des milliards de dollars de sanctions ont été infligés.”Les entreprises ont mis du temps à comprendre que les messageries privées étaient une zone grise problématique”, observe la spécialiste des technologies et de la protection des données Sonia Cissé, avocate associée au cabinet Linklaters. Dans la sphère financière, comme ailleurs, leur usage s’est lentement mais sûrement répandu. “Le Covid a accentué le phénomène, car tous les salariés n’étaient pas logés à la même enseigne pendant les confinements. Certains ont pu travailler à domicile avec le terminal Bloomberg, plusieurs écrans, une connexion haut débit. D’autre non. Et, quand les clients les ont sollicités, ils ont dû trouver des alternatives”, confie un professionnel du secteur.Le début du cauchemar pour les entreprises financières. Car la loi leur impose d’archiver la majorité des communications écrites et vocales des traders sur leurs marchés. Si les régulateurs soupçonnent une manipulation de cours, ils doivent pouvoir remonter le fil des échanges. Voir qui a parlé à qui, de quoi, à quel moment. Quels ordres ont été passés. Afin de déterminer, par exemple, s’il y a délit d’initié.Un cadre ultracontrôlé qui incite les employés à garder la réserve qui leur incombe. A l’inverse, WhatsApp et consorts brouillent les frontières. “Certains délits d’initié peuvent provenir de maladresses. Lorsqu’ils utilisent ces messageries, les salariés risquent davantage de relâcher leur vigilance malgré les actions de sensibilisation internes. Ils discutent de sujets informels et, sans y prendre garde, peuvent transmettre une information professionnelle qu’ils n’étaient pas censés donner”, met en garde Sonia Cissé. Les archives ne servent, du reste, pas qu’aux autorités. “En cas de litige avec un client, il est indispensable de pouvoir prouver quels ordres il a sollicités”, pointe Andrea Tueni, responsable des activités de marchés de Saxo Bank.WhatsApp et le gendarme boursierLe fait que les conversations des traders soient conservées n’empêche pas leurs outils de communication d’être hautement sécurisés. “Nous ne disposons pas de la clé de chiffrement permettant de lire les archives des conversations. Seuls nos clients la détiennent et peuvent la fournir aux régulateurs si ces derniers en font la demande”, explique Dietmar Fauser, directeur de l’information de Symphony, une plateforme de communication sécurisée dont la création a été soutenue par un consortium de grandes banques – Bank of America, Goldman Sachs, Credit Suisse Group, Deutsche Bank, etc.Face aux nouveaux usages de Wall Street, les entreprises s’adaptent. “Des solutions tierces permettent désormais de surveiller des applications telles que WhatsApp”, précisent à L’Express les équipes d’Interactive Brokers. La transition vers l’intelligence artificielle s’annonce de plus grande envergure pour cette sphère. Tous les éditeurs s’emploient à l’intégrer aux outils de chat utilisés par les institutions financières. Mais le langage des traders pose un défi aux IA lorsqu’elles tentent de l’analyser.Quelle est cette étrange faune qui parle de “mid”, de “spread”, de “floors” et s’échange quantité de chiffres dans un style télégraphique ? Même les termes familiers sont autant de pièges. Un “call” ou une “stratégie papillon” n’ayant ici rien à voir avec un coup de téléphone ou de chatoyants insectes volants. “Le jargon des traders pose un défi aux IA, car il est rempli d’abréviations et de termes techniques. Par exemple, ils n’énoncent pas toujours les nombres dont ils parlent en entier. Souvent, ils ne détaillent que ce qui se trouve après la virgule”, confie Dietmar Fauser.Les communications vocales ajoutent une couche de complexité à l’exercice. “La qualité du son et les accents des interlocuteurs jouent sur la capacité d’analyse”, confirme Alex de Lucena, directeur de la stratégie produit de Shield, spécialisé dans la surveillance et la conformité des communications financières. Mais le jeu en vaut la chandelle car l’IA révolutionne ce domaine à deux niveaux.D’abord, en faisant gagner aux entreprises un temps considérable. Plus besoin d’entrer manuellement les “deals” passés dans le système de comptabilité. “L’intelligence artificielle permet de transcrire des échanges vocaux et d’en extraire les données utiles plus vite”, pointe Dietmar Fauser. Les IA de dernière génération peuvent analyser d’immenses quantités de documents – rapports annuels, communiqués… –, en extraire les détails utiles, faire des synthèses ou dégager des tendances dans les flux de trading. Elles se chargent des tâches fastidieuses, comme les minutes d’une réunion. “Elles peuvent aussi aider à analyser les changements entre deux communiqués d’une Banque centrale. Des modifications parfois infimes peuvent ici avoir une grande portée et sont, pour cette raison, scrutées de près”, confie Andrea Tueni, de Saxo Bank.Des traders surveillés de près par l’IACertains développeurs de messageries prévoient même d’analyser la tonalité des conversations afin d’enrichir l’analyse fournie au client – par exemple, la transaction laisse-t-elle l’interlocuteur sceptique ? Mais l’IA n’apporte pas qu’un gain de temps à Wall Street. Elle permet avant tout aux institutions de mieux surveiller les échanges de leurs ouailles, afin de détecter les malversations. Par le passé, les fraudeurs pouvaient espérer se fondre dans la masse. Et même lorsque des soupçons déclenchaient une enquête, celle-ci prenait du temps. Dans certaines affaires, “des centaines de personnes ont dû être mobilisées pour contrôler des années d’enregistrements audio”, illustre l’avocate Sonia Cissé.L’IA peut désormais transcrire toutes ces conversations, les analyser automatiquement et signaler les passages suspects. Evoquer WhatsApp déclenchera immédiatement l’alerte. Mais la force de l’IA est de ne pas se contenter de repérer des mots-clés. “Elle fonctionnera même si le mot est mal orthographié et identifiera mieux les personnes qui tentent de faire basculer une conversation sur un canal non approuvé, même si elles usent de précautions langagières ou de termes codés”, met en garde Alex de Lucena, de Shield. Les traders tentés de sortir des clous ont intérêt à y réfléchir à deux fois : Big Brother les regarde.
Author : Anne Cagan
Publish date : 2024-10-28 04:30:00
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Author : MondialnewS
Publish date : 2024-10-28 04:43:27
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